Sunday, August 22, 2010

Les actionnaires peinent toujours à obtenir des entreprises des informations utiles et crédibles

par Mamadou Lamine Beye, Groupe Investissement Responsable (GIR)

Chaque année, des propositions d’actionnaires demandent à des entreprises des rapports sur des enjeux environnementaux et sociaux, même si celles-ci ont publié des rapports de développement durable respectant les directives de la Global Reporting Initiative (GRI). Les investisseurs figurent parmi les parties prenantes qui ont mis en place la GRI pour que les entreprises tiennent compte de leurs préoccupations dans leurs rapports de développement durable. En effet, Ceres, un vaste réseau d’investisseurs, fait partie de ceux qui ont été à l’origine de la GRI. Les entreprises qui sortent des rapports de développement durable respectant les directives de la GRI devraient donc y traiter les enjeux qui préoccupent les actionnaires. Par conséquent, ces derniers ne devraient pas avoir besoin de demander des rapports supplémentaires sur des enjeux sociaux ou environnementaux particuliers.

Nous allons essayer de comprendre pourquoi les actionnaires continuent de demander des rapports sur des enjeux environnementaux et sociaux à des entreprises qui disent respecter les directives de la GRI, et pourquoi ces entreprises continuent de répondre que les rapports demandés sont inutiles, qu’ils ne feraient que reprendre des informations déjà publiées et qu’ils engendreraient un gaspillage de ressources.

Les entreprises qui ont sorti des rapports de développement durable ne respectant aucune directive sont visées par des propositions d’actionnaires demandant des rapports spécifiques; ces propositions peuvent se justifier par des lacunes dans les informations transmises et le manque de crédibilité de ces informations. Par contre, les propositions requérant des rapports à des entreprises qui ont publié des rapports de développement durable suivant les directives de la GRI soulèvent trois questions:

1. Est-ce que le rapport demandé est redondant si l’entreprise respecte les directives de la GRI, comme le dit très souvent le conseil d’administration?

2. Est-ce que l’entreprise respecte les directives de la GRI comme elle le prétend?

3. Est-ce que les directives de la GRI couvrent vraiment les préoccupations des
actionnaires?

Pour donner des éléments de réponse à ces questions, nous avons examiné 44 opositions à caractère environnemental visant 37 entreprises nord-américaines ayant publié des rapports de développement durable suivant les directives de la GRI, analysées par le Groupe investissement responsable en 2009. Pour évaluer l’utilité du rapport demandé par les actionnaires, nous avons utilisé deux critères, soit la disponibilité de l’information et sa crédibilité. Pour le premier critère, nous avons regardé si l’information demandée est présente dans les différentes publications de l’entreprise. Nous avons par ailleurs utilisé les niveaux de qualité fixés par la GRI pour évaluer la crédibilité de l’information.

Pour le premier critère, nous avons trouvé que certaines informations demandées par des actionnaires sont soit irréalistes, soit déjà disponibles dans les documents publiés par l’entreprise ou dans d’autres documents. Par exemple, le Free Enterprise Action Fund demandait à Exelon de décrire et d’examiner comment les mesures prises par l’entreprise jusqu’à maintenant pour réduire son impact sur les changements climatiques ont influencé le climat en général en termes de température, d’événements indésirables liés au climat ou de désastres évités. La complexité du système climatique rend quasiment impossible la disponibilité de ces informations à l’échelle de l’entreprise. Elles doivent plutôt être cherchées dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Dans ces cas, le conseil d’administration a bien raison de dire que le rapport demandé est inutile.

Concernant le deuxième critère, nous avons trouvé des niveaux de crédibilité variables. La GRI a établi trois niveaux de qualité pour les rapports produits en suivant ses directives. Le niveau A est le plus élevé, suivi du B et du C. L’ajout du signe « + » indique que le rapport a été vérifié à l’externe. Ainsi, A+ représente la meilleure qualité et C, la pire. Cependant, un rapport de niveau
C est jugé plus crédible qu’un rapport n’utilisant pas du tout les directives de la GRI. Dans ces cas, il est pertinent que les actionnaires demandent des rapports supplémentaires si la qualité du rapport de développement durable de l’entreprise n’est pas satisfaisante.

Il a été paradoxal de constater que Dow Chemical, dont le rapport de développement durable a un niveau de qualité A+ de la GRI, soit visée par la même proposition depuis trois ans. En 2007, 2008 et 2009, la proposition a obtenu l’appui respectivement de 22, 23 et 29 % des voix. Malgré l’insistance des actionnaires et leur préoccupation croissante par rapport à cet enjeu, l’entreprise refuse de leur fournir une information satisfaisante portant sur l’efficacité de ses efforts pour dépolluer les alentours de l’installation de Midland. Cela montre qu’une entreprise peut respecter les directives de la GRI, tout en ne fournissant pas à ses actionnaires des réponses à leurs préoccupations. Donc, ces directives ne sont pas toujours adaptées aux enjeux qui préoccupent les actionnaires. Les indicateurs peuvent être assez généraux par rapport aux précisions que réclament les actionnaires. Par exemple, les directives demandent aux entreprises de fournir des initiatives de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), alors que de plus en plus d’actionnaires demandent plutôt des objectifs quantitatifs de
réduction de ces émissions.

Nous pouvons retenir de notre analyse que les demandes d’actionnaires peuvent être impertinentes ou inutiles, lorsque l’information est déjà disponible dans les documents de l’entreprise ou ailleurs, comme le clament souvent les conseils d’administration de certaines entreprises. Plusieurs sociétés qui prétendent respecter les directives de la GRI le font avec des niveaux de qualité variés, qui ne répondent pas nécessairement aux attentes des actionnaires. Or, ces derniers ont justement participé à la mise en place de ces critères pour que les entreprises couvrent leurs préoccupations dans leurs rapports de développement durable. Le fait qu’une entreprise dont le rapport de développement durable est préparé avec le meilleur niveau de qualité de la GIR n’arrive pas à répondre aux questions que se posent les actionnaires pendant trois ans montre qu’il y a une limite à considérer ces directives comme un signe de transparence et de crédibilité de l’information fournie par les entreprises.

Les actionnaires semblent avoir compris ces limites et demandent aux entreprises de participer à des modes de divulgation spécifiques, comme le Carbon Disclosure Project (CDP), le Forest Footprint Disclosure Project et le Water Disclosure Project. Toutefois, des entreprises clament tout haut qu’elles participent par exemple au CDP, tout en ne fournissant que le minimum d’informations. Certaines omettent même leurs émissions totales de GES dans leurs réponses au CDP. En attendant que les actionnaires trouvent les moyens qui permettront la divulgation des informations en quantité et qualité suffisantes pour toutes les entreprises, les signes de transparence comme les logos de la GRI et du CDP profitent à certaines entreprises qui, malgré leurs lacunes en matière de transparence, les affichent sur leurs rapports pour répondre à des exigences de certains investisseurs et clients responsables.

Mamadou Lamine Beye est un analyste en environment à l'équipe GIR à Montréal.

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